Quand on n'a jamais été confronté au cancer, on ne sait pas forcément qu'il existe un mot entre la maladie et la guérison: la rémission.
Ben oui. Quand les traitements sont finis, que le cancer n'est plus détectable, on n'est pas guéri pour autant, on est en rémission. Et cette période n'en finit plus, elle dure 5 ans après la fin des traitements.
La rémission n'est pas qu'un mot, c'est une éternité.
Pour BB1 et sa leucémie, la phase critique de la rémission, c'est 2 ans.
Elle est sortie de l'hôpital il y a 7 mois, son cathéter lui a été retiré il y a 6 mois mais nous n'avons pas repris une vie normale pour autant.
Déjà, impossible de déménager. Nous envisagions éventuellement de nous éloigner un peu de Paris pour avoir un peu plus de m2, car cela fait 8 ans que nous habitons dans notre appartement, et que nous sommes 2 humains de plus dedans. Même surface pour 2 personnes de plus, cela devient tendu pour chacun d'avoir un peu d'intimité, de pouvoir vivre sans enquiquiner l'autre avec sa musique etc. Les grands sont de vrais ados et supportent de moins en moins la proximité. Mais c'est impossible. Nous ne sommes qu'à 20-25mn en voiture de l'hôpital Robert Debré et nous ne pouvons pas nous en éloigner. C'était déjà bien assez compliqué comme ça tous ces aller-retour incessants maison-hôpital, nous ne déménagerons que quand le risque de non-rechute sera plus fort que le risque de rechute. 2 ans donc. Bref, va falloir continuer à se serrer et à serrer les fesses.
Sinon, on ne dirait pas, mais au quotidien nous sommes sans arrêt plongés dans les conséquences de la maladie.
Il y a tout le dossier "PMA" (procréation médicalement assistée), non pas pour nous, mais pour BB1: il faut évaluer l'impact des chimios sur sa fertilité et dès le mois de septembre nous allons démarrer un long protocole pour assurer la cryo-conservation de ses ovocytes. Oui, la leucémie est une vraie pute qui ne fait pas que des dégats dans la moelle, mais aussi sur tout le système reproductif. Et ce n'est pas si simple. Il faut trouver la meilleure façon de stimuler, sans réveiller le cancer. Il faut dans l'idéal cryo-conserver des ovocytes sains plutôt que du tissu ovarien que l'on ne sait pas bien re-greffer derrière. Les techniques sont encore nouvelles, extremement prometteuses mais personne n'a de boule de cristal.
Ca a été très douleureux pour elle et pour nous; je me souviendrais toujours quand j'ai ouvert l'enveloppe du labo avec le bilan de sa réserve ovarienne, j'ai failli avoir un malaise dans la rue... Heureusement que nous sommes maintenant rassurés par la prise en charge mais nous ne sommes qu'au début de ce chemin là; c'est insupportable pour elle de penser que le cancer puisse la couper de la maternité, nous allons encore vivre des moments compliqués après les vacances...
Le dossier cheveux. La perte des cheveux peut vous paraitre anodine mais pour une ado c'est compliqué. La perte intégrale des cheveux a été vécue comme une vraie mutilation. Une punition. Un cadeau empoisonné. BB1 a toujours refusé de porter des perruques, même en cheveux naturels. En lisant un bouquin sur la leucémie, l'auteure parle d'extensions de cheveux. C'est finalement la solution que nous avons choisie. Je ne vous parle pas du prix absolument EXHORBITANT de la chose (+ de 1500€). Sans compter qu'il faut retourner au salon toutes les 6 semaines pour refaire poser les bandes adhésives de cheveux, puisque sur des cheveux aussi courts (elle avait 2cm lors de la pause), le haut de la tête est fait en bandes et le dessous en nano-rings. 2 fois donc qu'on y retourne pour tout reposer (au passage la re-pose des bandes c'est 150€). Et puis la couleur à faire pour adapter les racines aux mèches. Et puis les produits à acheter pour que les extensions ne ressemblent pas à de la paillasse. Heureusement que belle-maman a pris en charge la plus grande partie de ces frais parce que franchement, on n'aurait pas pu, c'est complètement délirant... Et à la fois comment faire. Quand on a vu son enfant passer X fois à côté de la mort pendant ces longs mois de chambre stérile, c'est impossible de ne pas essayer de tout lui donner maintenant qu'elle est dehors. Et à la fois on ne peut pas tout faire.
Certains jours on vit comme si tout allait s'arrêter demain. Mais certains jours on ne peut pas. Parce que financièrement c'est impossible, parce qu'on y passe toute notre énergie, tout notre temps disponible, TOUT. Et puis il y a les garçons aussi, eux aussi ont besoin qu'on leur consacre du temps et des ressources. Le nombre de choses que l'on a sacrifiéà leurs dépends... Eux ne s'en rendent pas forcément compte, et n'en sont pas forcément plus malheureux. Mais moi je sais. Je sais que l'on n'accompagne pas assez BB2 dans sa scolarité de 6ème. Son collège est pourri. Il aurait sincèrement fallu qu'on le mette en privé. Mais c'est impossible. Il écrit très mal, et il aurait sans doute eu besoin d'aller voir un grapho-thérapeute; il va falloir aller voir un ortho. Non mais rien que l'idée d'avoir encore des rdv toutes les semaines chez un toubib ou une profession paramédicale, pour des trucs à moitié remboursés encore. Pour BB3, on aurait du faire depuis très longtemps un EEG suite à un problème neuro d'il y a quelques années. Tombé aux oubliettes. Pour BB5, c'est différent, on passe beaucoup de temps sur ses problèmes à lui, il ne grandit et ne grossit pas bien; on est en plein parcours de spécialistes.
Les vacances. Je n'arrête pas d'en parler, c'est devenu une obsession. Parce qu'on est un peu à bout de souffle. Mais les vacances c'est compliqué. L'année dernière on a foutu à la poubelle 500€ de billets de train (et encore, c'était pas un voyage au Club Med). Vous me direz, les assurances c'est pas fait pour les chiens. M'enfin, ces gens qui ont toujours de bons contre-arguments, ne voient souvent pas plus loin que le bout de leur petit nez. Les assurances c'est souvent fait pour ne pas marcher pile quand c'est votre cas. Une maladie qui revient, ça ne s'assure pas, ou alors pas dans nos moyens. Alors le joli voyage en famille, ce sera quand on pourra prendre une assurance qui marche en cas d'annulation. Dans 1 an 1/2. Cette année on va rester en France, prudence oblige. Quand je vois le nombre d'enfants hospitalisés à Debré et qui venaient des Antilles ou de Tahiti, je me dis que la seule île que nous pourrions faire serait la Corse. Et j'ai pris une assurance annulation sur nos billets de train de cet été...
Et je BENIS le Futuroscope qui vient de nous inviter un WE complet en famille au mois de juin.
Le dossier maux de tête. Ca c'est du lourd. Ca nous pourrit littéralement la vie. BB1 va devenir complètement dingue. Au départ on lui a dit que les maux de tête étaient liés à la présence de nombreux chloromes dans les méninges (ce sont des tumeurs liées à sa leucémie, découvertes sur la 1ère IRM). Avec les chimios, ces chloromes ont disparu mais depuis la sortie de l'hôpital, maux de tête terribles à en devenir DINGUE ! La dernière IRM de février était 100% normale. J'en ai eu marre d'attendre des explications et surtout un traitement et j'ai fait des recherches moi-même, notamment suite à la lecture des travaux de recherche d'un neurologue américain. J'ai commandé aux US une armée de traitements que je qualifie d'"alternatifs" ( 5-HTP, B2, Co-Q10, Pétadolex etc.). Nous avons commencé par ce que j'estimais le moins "risqué" pour elle, elle a donc pris de la Co-enzyme Q10 et un traitement homéopathique ciblé migraines. Miracle ou pas, elle n'a plus aucune douleur depuis 15 jours maintenant. Nous avons aussi testé 15 jours un régime cétogène qui est utilisé dans de nombreux services de neurologie (contre les épilepsies) et pareil: très bon résultat, ces maux de tête avaient diminué en fréquence et en intensité; malheureusement ce régime n'est pas envisageable sur le long terme car toute la semaine elle est en internat et nous n'avons aucun contrôle sur sa nourriture. On refait un point la semaine prochaine en hospitalisation de jour, les médecins ne comprennent pas ce qui a marché mais je dois dire que s'ils ont été brillants pour le traitement de la leucémie, ils n'ont pas été très forts pour cette histoire de maux de tête et il a fallu qu'on se demmerde tout seul ! On l'a aussi amené voir un super acupuncteur... (120€ non remboursés encore yeah).
L'essentiel c'est qu'on ait enfin eu du positif sur ces maux de tête sur lesquels il n'y avait plus aucun contrôle, mais quel parcours du combattant encore !
En dehors de ces dossiers de fond, nous tremblons tous les mois en attendant les résultats de la prise de sang. Enfin, je dis tous les mois mais depuis octobre, elle est souvent revenue en catastrophe de l'internat à cause de maux de tête, de bleus (symptomes de possible pb de plaquettes), de fatigue extrême.
Ca me fait marrer quand on me dit "oh c'est super, tout va bien, vous avez repris le cours de votre vie"; ben non, ce n'est pas si simple, tout va bien, jusqu'au moment où l'alarme est tirée, où tout s'arrête pour nous, où en 1/4 de seconde on est replongé dans la terreur d'il y a un an, et puis hop ça repart. On est sans cesse dans l'ascenseur émotionnel et même quand on veut prendre du recul, on est toujours un peu sur le qui-vive.
On savoure la liberté qu'elle ne soit plus enfermée dans une chambre stérile, mais c'est une liberté conditionnelle. Qui dure...
Et qu'il faut continuer de gérer avec une fin d'année qui est par définition intense avec 4 enfants.
Le cancer ne se gagne pas au sprint, c'est une course de fond, avec obstacles. Qu'on est obligé de courir, envie ou pas, fatigué ou pas.
(c'est quand les vacances ?)